La copropriété, ce mode d’habitat qui concerne près de 10 millions de logements en France, connaît une profonde transformation juridique. Face aux enjeux de rénovation énergétique et de modernisation de la gouvernance, le législateur a engagé une série de réformes substantielles qui redessinent le paysage de la copropriété française. Découvrons ensemble les impacts concrets de ces évolutions sur votre quotidien de copropriétaire.
Les fondements de la réforme : la loi ELAN et ses décrets d’application
La loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) promulguée en novembre 2018 constitue le socle principal de la réforme du droit de la copropriété. Cette loi ambitieuse visait initialement à simplifier et moderniser le régime juridique des copropriétés, jugé trop complexe et inadapté aux enjeux contemporains.
Les décrets d’application publiés en 2019 et 2020 ont progressivement concrétisé cette réforme, notamment l’ordonnance du 30 octobre 2019 qui a refondu en profondeur la loi du 10 juillet 1965, texte fondateur du statut de la copropriété. Cette ordonnance a introduit des innovations majeures concernant la gouvernance des immeubles, la prise de décision collective et la gestion patrimoniale.
La réforme s’inscrit dans une logique de simplification administrative et d’adaptation aux nouveaux modes de vie. Elle intègre également les impératifs de transition écologique qui s’imposent désormais à tout le parc immobilier français, dont les copropriétés représentent une part significative.
Modernisation de la gouvernance et des processus décisionnels
L’un des aspects les plus notables de la réforme concerne la gouvernance des copropriétés. Le législateur a souhaité fluidifier les processus décisionnels tout en préservant l’équilibre entre les droits individuels des copropriétaires et l’intérêt collectif.
La réforme a considérablement assoupli les règles de majorité pour certaines décisions. Par exemple, les travaux d’économie d’énergie peuvent désormais être votés à la majorité simple de l’article 24 (majorité des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés), alors qu’ils relevaient auparavant de l’article 25 (majorité des voix de tous les copropriétaires).
Le conseil syndical voit également ses prérogatives renforcées. Dans certaines copropriétés, il peut désormais être habilité par l’assemblée générale à prendre des décisions relevant normalement de cette dernière, dans une limite de montant prédéfinie. Cette délégation de pouvoir, valable deux ans maximum, permet d’accélérer certaines prises de décision sans convoquer systématiquement une assemblée générale.
Les assemblées générales elles-mêmes se modernisent avec la possibilité de participation à distance et de vote par correspondance, innovations qui ont montré toute leur pertinence durant la crise sanitaire. Ces modalités, initialement prévues comme des options, sont devenues des pratiques courantes que les experts en droit immobilier recommandent d’intégrer durablement dans le fonctionnement des copropriétés.
Nouveaux dispositifs pour la rénovation énergétique
La réforme du droit de la copropriété s’inscrit dans un contexte d’urgence climatique et d’impératif de rénovation du parc immobilier français. Plusieurs dispositifs spécifiques ont été mis en place pour faciliter l’engagement des copropriétés dans des travaux de rénovation énergétique.
Le plan pluriannuel de travaux devient obligatoire pour les copropriétés de plus de 15 ans, conformément à la loi Climat et Résilience d’août 2021. Ce plan, élaboré pour une période de dix ans, doit être actualisé tous les dix ans et voté en assemblée générale. Il s’appuie sur un diagnostic technique global (DTG) qui évalue l’état de l’immeuble et identifie les travaux nécessaires.
Le fonds de travaux, déjà obligatoire depuis la loi ALUR, voit son fonctionnement précisé et renforcé. Son montant minimum est désormais fixé à 5% du budget prévisionnel annuel pour les copropriétés de plus de 10 ans. Ce fonds constitue une épargne collective essentielle pour financer les futurs travaux sans recourir systématiquement à des appels de fonds exceptionnels.
Les copropriétés à usage principal d’habitation doivent également réaliser un diagnostic de performance énergétique collectif (DPE) avant le 1er janvier 2026, première étape vers l’élaboration d’un plan de rénovation énergétique cohérent. Ce DPE collectif devient un document essentiel, notamment pour les immeubles classés F ou G (les fameux « passoires thermiques ») qui feront l’objet de restrictions de location progressives.
Gestion financière et comptable : vers plus de transparence
La réforme introduit plusieurs innovations visant à améliorer la gestion financière des copropriétés et à renforcer la transparence comptable.
Le budget prévisionnel, pierre angulaire de la gestion financière, voit son périmètre précisé. Les dépenses pour travaux n’y figurent plus, étant désormais traitées dans le cadre du plan pluriannuel de travaux. Cette distinction permet une meilleure lisibilité des charges courantes et des dépenses exceptionnelles.
La réforme renforce également les obligations du syndic en matière d’information financière. L’accès aux pièces justificatives des charges est facilité, et la présentation des comptes doit suivre un format standardisé permettant aux copropriétaires de mieux comprendre l’utilisation des fonds communs.
Un compte bancaire séparé devient obligatoire pour toutes les copropriétés, quelle que soit leur taille, sauf décision contraire de l’assemblée générale pour les petites copropriétés (moins de 15 lots). Cette mesure vise à protéger les fonds des copropriétaires et à faciliter le contrôle de leur utilisation.
La dématérialisation des documents comptables et de gestion est encouragée, avec la possibilité pour les copropriétaires d’accéder à un espace en ligne sécurisé où sont disponibles les documents essentiels de la copropriété. Cette évolution numérique facilite le suivi de la gestion tout en réduisant les coûts administratifs.
Statut juridique des petites copropriétés et copropriétés en difficulté
La réforme accorde une attention particulière aux petites copropriétés et aux copropriétés en difficulté, qui nécessitent des régimes adaptés à leurs spécificités.
Pour les copropriétés de moins de 5 lots, un régime simplifié est instauré. Ces petites structures peuvent fonctionner sans syndic professionnel et avec des règles de gestion allégées, tout en conservant les protections essentielles du statut de la copropriété.
Les copropriétés en difficulté financière font l’objet d’un traitement spécifique avec des procédures de redressement renforcées. Le rôle de l’administrateur provisoire est précisé, et ses pouvoirs sont étendus pour faciliter le redressement des copropriétés les plus fragiles.
La réforme introduit également la notion de scission en volumes qui permet, dans certains cas complexes, de diviser une copropriété en plusieurs entités juridiquement distinctes. Cette solution peut s’avérer pertinente pour les grands ensembles immobiliers où coexistent des usages très différents (logements, commerces, bureaux).
Ces dispositions spécifiques témoignent de la volonté du législateur d’adapter le cadre juridique à la diversité des situations rencontrées dans le parc des copropriétés françaises.
Implications pratiques pour les copropriétaires
Face à ces évolutions législatives majeures, les copropriétaires doivent s’adapter et saisir les opportunités offertes par la réforme.
La première démarche consiste à s’informer précisément sur les nouvelles dispositions applicables à votre copropriété. Le règlement de copropriété et les résolutions votées en assemblée générale doivent progressivement intégrer ces évolutions légales.
Il est également recommandé de participer activement aux assemblées générales et, si possible, de s’impliquer dans le conseil syndical. Cette participation permet de contribuer aux décisions collectives et de veiller à la bonne application des nouvelles règles.
Pour les copropriétés concernées par l’obligation d’établir un plan pluriannuel de travaux, il convient d’anticiper cette démarche en commandant un diagnostic technique global qui servira de base à l’élaboration du plan.
Enfin, les copropriétaires ont tout intérêt à se familiariser avec les outils numériques de gestion de copropriété, qui facilitent l’accès à l’information et la participation aux décisions collectives.
La réforme du droit de la copropriété représente une évolution significative du cadre juridique qui régit la vie de millions de Français. Entre modernisation de la gouvernance, impératifs écologiques et adaptation aux nouveaux modes de vie, elle dessine le visage de la copropriété de demain. Pour les copropriétaires, ces changements impliquent de nouvelles responsabilités mais aussi de nouvelles opportunités pour améliorer la gestion collective de leur patrimoine immobilier. Dans un contexte où la valeur des biens dépendra de plus en plus de leur performance énergétique, s’approprier ces réformes devient un enjeu patrimonial majeur.